Vendredi dernier, dans l’amphithéatre flambant neuf du vaisseau Station F, nous avons assisté à la présentation d’une étude réalisée par la filiale états-unienne de l’Atelier BNP Paribas : “la civic tech peut-elle sauver la démocratie ?”
Pour une raison que l’auditoire (assez clairsemé malgré l’affiche, alléchante) n’a pas réussi à entendre, la présentation a finalement choisi de s’intituler “la civic tech peut-elle changer la démocratie ?”. Au-delà du chipotage sémantique — qui laisse toutefois à penser que la démocratie ne souffre pas du même mal aux Etats-Unis, où on voudrait la sauver, et en France, où on préfèrerait la changer — le sujet a été maîtrisé de bout en bout. Le discours était limpide, la méthodologie employée pour récolter les informations plutôt claire : la “keynote” de Ramy Ghorayeb était parfaite.
Ou plutôt : quasi parfaite, car une question est restée suspendue à la communication autour du lancement de cette étude.
Poudre de perlimpinpin
Nous passons rapidement sur l’association rapide « civic tech » = « ces technologies », car nous avons déjà eu l’occasion de dire le danger réel consistant à réduire la civic tech démocratique à un ustensile politique au service d’un hypothétique mouvement citoyen.
Mais quand même : « Comment ces technologies redonnent-elles le pouvoir au citoyen ? ». Il y a là un postulat discret qui pose implicitement un vrai débat de fond. D’un côté nous avons une étude qui tente de répondre à une problématique : il faut sauver la démocratie. De l’autre côté nous avons une communication qui questionne de façon rhétorique une solution : il suffit de redonner le pouvoir aux citoyens.
On a donc décidé par syllogisme d’insinuer une vision : le problème de la démocratie, c’est juste un problème de citoyens qui auraient perdu le pouvoir et à qui il suffirait de « redonner » ce pouvoir. Par ruissellement, ce fameux empowerment qui fait rêver la ménagère serait donc LA solution à la crise de confiance qui plombe gentiment nos institutions. Une autre manière de dédouaner ces dernières en faisant miroiter un nouvel âge au peuple.
En bref, une vision hyper « bottom-up » qui participe au fantasme de l’outil miracle (comme contestation de l’ordre gestionnaire, dirait Michael Vicente), de la combinaison spatiale qu’il nous suffirait d’enfiler pour vaincre la méchante crise de la démocratie.
Outiller les innovateurs démocratiques
Ce que nous proposons repose sur l’observation d’une réalité beaucoup plus concrète à nos yeux : il n’existe pas d’outil qui puisse délivrer le moindre résultat sans une implication forte du politique dans sa mise en oeuvre. Plutôt que de draguer le citoyen en lui promettant le pouvoir à partir d’un outil, nous préférons identifier les décideurs qui partagent la vision d’une société basée sur la collaboration des individus qui la composent, et nous attacher à les outiller pour qu’ils appliquent concrètement cette vision.
La question n’est donc pas de « redonner le pouvoir au citoyen » à travers la technologie. Mais plutôt de mettre à niveau la société pour qu’elle passe à l’échelle et rentre pleinement dans une époque où les attentes des citoyens en matière de volonté de participer à la décision — par l’augmentation sensible des moyens (techniques, culturels, intellectuels) — sont démontrées par les enquêtes et par l’expérimentation.
Ce n’est pas la civic tech qui sauvera la démocratie : c’est la démocratie qui se sauvera elle-même. Notre travail est de la poursuivre, de la convaincre et de la former à se transformer.
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